(Buffy contre les vampires, S1E6 « The Pack »)
Dès la première saison de Buffy contre les vampires, un moment particulièrement glaçant révèle un aspect fondamental du personnage d’Alex Harris : sa tentative de viol sur Buffy. Cet épisode, « The Pack », est souvent perçu comme une simple intrigue secondaire, une possession magique qui ferait agir Alex contre son gré. Pourtant, en y regardant de plus près, il fonctionne surtout comme un révélateur de traits déjà présents en lui.
Ce qui rend cet épisode si dérangeant, c’est qu’Alex sous l’emprise du rituel ne devient pas une autre personne, il exprime sans filtre des éléments de sa personnalité qui existent déjà. Les hyènes ne lui imposent pas un comportement extérieur, elles lui permettent d’agir sans retenue. Cette nuance est essentielle, car elle éclaire une mécanique bien plus large : celle de la masculinité toxique qui se cache sous une façade de « gentil garçon ». Ce que nous voyons ici, c’est un Alex libéré des contraintes sociales, un Alex qui se sent autorisé à exercer son pouvoir sur les autres, à s’imposer, à dominer.
Buffy s’oppose à lui, elle refuse d’entrer dans son jeu. Mais cette confrontation dépasse le simple affrontement physique. Elle incarne une puissance féminine qui ne se plie pas à ses attentes. Et c’est bien cela qui arrête Alex, non pas une soudaine prise de conscience morale, mais la réalisation qu’il ne peut pas la vaincre. Ce détail est crucial, car il nous montre qu’il conçoit les relations avec les femmes comme un rapport de force. Il ne s’agit pas d’un échange ou d’un partage, mais bien d’un combat qu’il n’engage que lorsqu’il pense pouvoir le gagner.
Un rituel qui ne fait qu’exacerber ce qu’Alex est déjà
L’épisode met en scène un rituel mystique où les hyènes « possèdent » un groupe d’adolescents. Mais contrairement à une possession démoniaque classique, ici, la magie ne crée pas de nouveaux comportements, elle intensifie ce qui est déjà là. Chaque personnage sous l’emprise du rituel manifeste des traits qui lui sont propres, mais en version exacerbée. Ce n’est pas un hasard si Alex, lui, devient immédiatement agressif, cruel et avide de pouvoir. Il ne subit pas la transformation, il s’y abandonne.
Ce type de phénomène est bien étudié en psychologie, notamment sous le prisme de la désinhibition comportementale (Baumeister, Evil: Inside Human Violence and Cruelty, 1997). Lorsqu’un individu est libéré des contraintes sociales ou morales, il ne se transforme pas en une autre personne, il laisse simplement émerger ce qu’il réprimait déjà. C’est exactement ce qui se passe ici.

Et c’est là que réside le vrai problème. Parce que la série choisit de présenter cet épisode comme une parenthèse, la gravité des actes d’Alex est minimisée. Pourtant, en le regardant avec du recul, on comprend que cette scène nous dit quelque chose de fondamental sur sa perception des relations humaines et amoureuses.
D’ailleurs, l’effet de désinhibition causé par les hyènes fonctionne comme une excuse classique utilisée par les agresseurs : « Ce n’est pas ma faute, j’étais sous influence. » Que ce soit l’alcool, la drogue ou, ici, une possession mystique, l’argument reste le même. On retrouve cette dynamique dans les études sur la culture du viol (Liz Kelly, Surviving Sexual Violence, 1988, entre autres sources), qui montrent comment la responsabilité des actes de violence est souvent détournée vers un élément extérieur, minimisant ainsi la responsabilité de l’agresseur.
L’agression de Buffy : un test de domination plus qu’un acte incontrôlé
La scène du vestiaire est l’un des moments les plus glaçants de l’épisode. Alex bloque Buffy, la contraint, et tente d’inverser le rapport de force par la manipulation. Lorsqu’il lui dit : « We both know what you want. » (« On sait tous les deux ce que tu veux. »), il ne fait pas que nier son consentement. Il impose une réécriture du réel, un procédé bien documenté dans les études féministes sur la culture du viol.

Ce qui frappe ici, c’est que ce n’est pas un élan de pulsion incontrôlable. Alex n’est pas possédé par une force extérieure qui le pousse malgré lui à agir ainsi. Il teste la dynamique de pouvoir. Il veut voir jusqu’où il peut aller. Et il s’arrête non pas parce qu’il réalise la gravité de son geste, mais parce qu’il comprend qu’il ne peut pas gagner.
Buffy incarne une opposition qu’il ne peut pas briser, et c’est ce qui met fin à la scène. Il ne s’excuse pas, ne remet pas en question son comportement. Il est stoppé par une contrainte physique, pas par une prise de conscience. Et ce schéma, on le retrouvera tout au long de la série dans sa manière de juger et de contrôler les femmes de son entourage.
La protection de Giles : un silence complice qui efface les fautes d’Alex
À la fin de l’épisode, un détail change radicalement la perception de ce qui vient de se passer. Alex se souvient de tout. Il n’a jamais été « absent » de son propre corps, il n’a pas d’excuse. Et pourtant, Giles choisit de ne pas révéler cette information aux autres.
Ce choix scénaristique illustre parfaitement un phénomène bien étudié dans les sciences sociales : la solidarité masculine tacite (R.W. Connell, Masculinities, 1995). Lorsqu’un homme perçu comme « gentil » ou « loyal » commet une faute, il est fréquent que son entourage masculin minimise ou dissimule ses actes pour ne pas remettre en question son image.
Cela rejoint aussi le concept de « himpathy » développé par Kate Manne (Down Girl: The Logic of Misogyny, 2017), qui montre comment les hommes bénéficient souvent d’une empathie excessive lorsqu’ils sont auteurs d’actes problématiques, alors que les femmes victimes de ces mêmes actes sont ignorées ou blâmées.

Ce que fait Giles ici, c’est exactement cela. Il protège Alex. Il le couvre. Et ce mécanisme va se reproduire tout au long de la série. Alex agit de manière toxique à plusieurs reprises, et pourtant, il échappe systématiquement aux conséquences de ses actes.
Un épisode qui aurait dû être un tournant… mais qui sera effacé
Ce qui fait de « The Pack » un épisode si dérangeant, ce n’est pas seulement ce qu’Alex fait sous l’influence des hyènes, c’est le fait que rien ne change pour lui après coup. Ce qui aurait dû être un point de rupture dans la perception du personnage est balayé comme un incident sans importance.

Pourtant, en observant son évolution, on comprend qu’il reproduit ces mêmes schémas sous des formes plus subtiles. Il juge les relations amoureuses de Buffy, critique les hommes autour d’elle, impose une dynamique de contrôle sur les choix sentimentaux de Willow et Anya. Il reste un Nice Guy™ qui se voit en victime dès qu’une femme ne répond pas à ses attentes, et pourtant, il est toujours traité comme un « gentil garçon », celui qui n’a « pas de superpouvoirs mais un grand cœur ».
Et c’est bien là que réside le vrai problème. Alex ne changera jamais parce que la série ne l’y oblige pas. Comme Giles à la fin de cet épisode, le récit choisit de ne pas confronter Alex à la gravité de ses actes.
Ce qui aurait dû être un tournant reste une ombre, un indice pour celles et ceux qui veulent bien le voir. Et c’est précisément cela qui rend cet épisode si glaçant : ce n’est pas une erreur d’Alex, c’est un avertissement que la série choisira d’ignorer.